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DatAgora, le grand entretien (2/3) : faire ensemble autour de la donnée

jeudi 2 décembre 2021

 

Entretien avec Gilles Gesquiere, université de Lyon, co-porteur du projet DatAgora

La donnée… Derrière ce terme vague cachant un ensemble de mesures ou d’observations, certains y verront à raison un outil à l’impact environnemental lourd, qui peut siloter, restreindre, effacer le réel. Mais la donnée est aussi un outil puissant pour qualifier, comprendre, transformer, aménager nos territoires à la compréhension de leurs réalités et leurs besoins ; un outil innovant pour créer de nouveaux usages par le croisement, l’interconnaissance et la recherche.
La DatAgora, dont le tout nouveau site de présentation est à retrouver ici : https://www.datagora.erasme.org/, s’inscrit dans cette valorisation de la donnée d’intérêt général, en mettant à disposition des acteurs locaux les données, les outils et les méthodes pour mener à bien leurs projets basés sur cette donnée. Ce projet porté par l’université de Lyon, le service Données Métropolitaines et Erasme est en expérimentation depuis 2020 et a déjà produit de nombreux dispositifs innovants mobilisant la donnée. La DatAgora a été sélectionnée pour recevoir un soutien de France Relance, et lance dans le même temps un vaste appel à manifestion d’intérêt pour recueillir les sujets de développement et de prospective liés à l’usage de la donnée publique ! Chacun peut y candidater et découvrir toutes les informations de l’AMI (appel à manifestation d’intérêt) à travers ce lien : https://form.typeform.com/to/O9yePTtx.
A l’initative de cette démarche, ses trois porteurs vont chacun nous partager leur vision personnelle de la donnée et de ses actions sur le territoire. Pour ce second entretien, partons à la rencontre de Gilles Gesquiere, chercheur au LIRIS, directeur scientifique du projet VCity à l’université de Lyon 2, enseignant dans le programme Gamagora et directeur du LabEx Intelligences des mondes urbains.
Le premier entretien avec Patrick Vincent, directeur de projets à Erasme est à retrouver ici : https://www.erasme.org/DatAgora-le-grand-entretien-1-3

Bonjour Gilles, peux-tu te présenter avec une surprise provoquée par une visualisation de données percutante ?

Aujourd’hui, la donnée et ses modes de visualisations sont partout. Il n’y a pas un reportage, un article où on montre pas des graphiques, ou même des animations 3D permettant d’expliquer un phénomène. La visualisation de la donnée est partout et malheureusement pas toujours utilisée à bon escient. Si nous revenons à ces visualisations, comment mobiliser les bonnes représentations afin d’apporter l’information appropriée tout en limitant le biais inhérent à la connaissance des personnes qui la manipule ? La manipulation de la donnée doit pouvoir se faire avec parcimonie sans vouloir forcer un trait plutôt qu’un autre. Prenons par exemple que penser de l’épaisseur d’une flèche liée à un flux migratoire. Est-elle appropriée ? Permet elle de représenter une réalité ? Doit elle être questionnée au vu la sémiologie graphique employée ?
De façon plus enjouée, comment ne pas penser à l’utilisation de la donnée pour apporter des éléments de compréhension de phénomènes. Baignée il y a quelques années dans les maquettes proposées par Jamy Gourmaud et son équipe dans C’est pas sorcier, véritable modèle de la possibilité de rendre compréhensible des phénomènes pourtant complexes, on ne peut que penser à une évolution alliant ces expériences tangibles et une utilisation appropriée de la donnée pour la compréhension de phénomènes. Les travaux menés dans le cadre de la simulation de phénomènes physiques depuis des années amènent à des résultats que nous pouvons exposer de façon plus facile grâce à des modes de représentations appropriés. On peut ainsi “voir” et mieux appréhender la dispersion de la pollution, des problématiques liées aux îlots de chaleur. La en data visualisation permettent aujourd’hui de “rendre visible l’invisible”.


Jamy présentant la différence entre des sons. Source : C’est pas sorcier

Dans le monde de la recherche, comment la donnée est-elle abordée ?

La donnée est au centre de la recherche ; elle est partout. Les chercheurs comptabilisent des espèces afin de faire un état de la biodiversité dans des espaces privés et publics (comme dans le projet Collectifs du LabEx IMU), proposent des enquêtes sur les mobilités (citons ici le projet Mobicampus), produisent par croisement de données une donnée toujours plus riche pour par exemple voir l’impact d’une végétation 3D, du terrain et des bâtiments 3D sur les possibles ombres portées qui peuvent permettre de réfléchir à des parcours fraicheurs (projet VCity du LIRIS). La recherche est donc productrice de données, mais aussi fortement consommatrice d’une donnée issue d’acquisitions menées avec toujours plus de précision et à plus grande échelle. La donnée doit là encore être questionnée afin de pouvoir attester de sa qualité. La richesse de data.grandlyon.com, la libération de toujours plus de données (voir IGN, CRAIG, etc) permet aux chercheurs de pouvoir mener des études toujours plus pertinentes en réponse au besoin de relever des défis toujours plus complexes pour nos territoires.


Cartographie de la végétation sur la métropole de Lyon à partir des données LIDAR

Il y a eu beaucoup d’attentes vis à vis de la "smart city” ou des jumeaux numériques, ces paradigmes sont-ils toujours d’actualité ou ont-ils été remplacés par de nouveaux, peut être plus low tech ?

Vouloir imiter le réel n’est pas nouveau. Quel sculpteur ne rêverait pas de l’œuvre ultime où il serait difficile de reconnaître où est le modèle réel et la copie. Mais devons nous avoir cette approche ultime ou le jumeau numérique doit être la copie la plus fidèle possible du réel alors que le passage par le 0 et le 1 qui composent le numérique ne permettront de toute façon qu’une pâle copie. L’évolution après un passage de la copie ultime est aujourd’hui de s’intéresser, à l’esquisse, le trait nécessaire à la compréhension. L’acquisition doit être challengée par les usages, le stockage et le traitement doivent être raisonnés. Il ne s’agit pas d’aller nécessairement vers le low tech, mais peut être plus d’éviter une consommation non nécessaire, véritable variable d’ajustement à un tout numérique.

Justement, la Datagora offre une nouvelle façon d’aborder la donnée, croisant des problématiques très concrètes du terrain à des sujets de recherche avancée. Après plus d’un an d’expérimentation, que permet une telle organisation ?

DatAgora est une modalité d’action autour de la donnée. Elle permet de créer un lieu d’échange rendant perméable des frontières qui se sont installées avec le temps entre services, entre la recherche et des besoins issus de notre collectivité. Échanger, expérimenter ensemble, c’est permettre de mettre en adéquation des besoins, identifier des verrous scientifiques et techniques, c’est rendre possible la réalisation d’une recherche nécessaire pour un expert du territoire. DatAgora a cette vocation de rendre possible ce dialogue et se faire ensemble entre le chercheur, l’expert de la collectivité pour une meilleure compréhension du territoire et de de ses possibles évolutions.

Des exemples concrets pour illustrer ce qu’a produit ou va produire la DatAgora ?

Prenons l’exemple de la végétalisation d’un quartier. Il peut s’agir de prendre des données issues de l’open data du Grand Lyon, de les croiser avec des données de l’Agence d’Urbanisme de Lyon et d’obtenir une carte de la présence ou non de végétaux. L’échange avec les experts en données, en végétation, démontrent vite que ce n’est pas suffisant. Il faut pouvoir mettre en adéquation cette carte qui est un état des lieux avec des possibles potentialités, en relation avec le plan Canopée du Grand Lyon. Il est aussi nécessaire d’aller plus loin en proposant un dispositif de médiation rendant tangible une représentation de ce quartier (avec des légos) et de montrer les “possibles” grâce à une carte de plantabilité, mais aussi une capacité à rendre présentable les possibles scénarios afin de les étudier. Les dispositifs sont aussi pensés grâce à un ensemble de briques techniques réutilisables dans d’autres contextes. Aujourd’hui, végétalisation, peut être demain problématiques de métabolisme urbain sur un autre quartier en pleine mutation ?


Croisement de données pour travailler à la végétalisation d’un quartier

Peux tu nous présenter des sujets de recherche à connecter à la DatAgora dans les prochains mois ?

Pour la recherche, il est nécessaire de pouvoir avoir une meilleure compréhension des besoins qui pourraient donner lieu à une formulation de nouveaux verrous scientifiques. Etre au plus proche des services de la métropole le permet grâce à ce projet DatAgora. DatAgora, ne peut pas être qu’un moyen de mettre en avant des innovations technologiques ou se réduire à des réalisations informatiques. Un volet impliquant les sciences humaines et sociales, mais aussi les sciences pour l’ingénieur, les sciences expérimentales est capital. Dans les projets en émergence au sein de DatAgora, il y a par exemple le projet GUIDE impliquant les LabEx IMU et ASLAN. Il s’agit de mieux comprendre sur un campus les modalités de déplacement pour des personnes qui découvrent les lieux et qui s’y perdent un peu parfois... Comment ici des compétences en linguistique interactionnelle, cognition, informatique, urbanisme et patrimoine afin de répondre au mieux à cette question. Un autre projet porte sur l’évolution d’un quartier à Villeurbanne ; comment comprendre avec les experts et des chercheurs l’impact que peuvent avoir les déplacements de marchandises, de personnes, d’éléments de constructions et de destruction. Un autre volet est adressé ici ; il s’agit de proposer lors de l’Ecole de l’anthropocène organisée par l’Ecole Urbaine de Lyon, lors de la dernière semaine de janvier 2022 à Villeurbanne, un workshop ayant pour vocation à amener des éléments de réponses en faisant travailler des étudiants en groupe pluridisciplinaire issus de 4 master 2 différents (VEU, MUSE, Gamagora et Geonum). DatAgora peut aussi être une modalité apportant du lien entre formation, recherche et collectivité.


Le projet Gratte ciel à Villeurbanne, lieu d’expérimentation pluridisciplinaire

par Anthony Angelot